Maude a pris contact avec nous en découvrant notre plateforme dans la presse. Nous la remercions pour cet échange spontané, vif et intéressant.
Mon parcours scolaire et professionnel
J’ai commencé ma maturité dans une école privée, mais le suivi n’était pas celui qui était annoncé. Alors j’ai commencé un apprentissage dans le domaine de la biologie. Celui-ci s’est mal passé. Il s’en est suivi une période assez compliquée, semée de plusieurs échecs scolaires et professionnels, en même temps que je devais soigner mes problèmes de santé.
J’ai été souvent mise à l’écart sans comprendre la raison durant mes années d’école. J’ai été beaucoup dévalorisée par mon entourage scolaire et familial … j’ai fini par manquer cruellement de confiance en moi. J’étais convaincue d’être stupide, capable de rien. J’avais l’impression de ne pas voir de perspective professionnelle qui correspondait à mon profil. Globalement, mes réussites scolaires et professionnelles ont longtemps dépendu d’un environnement compréhensif et bienveillant. C’est seulement quand j’ai appris à m’émanciper de l’opinion des autres que j’ai réellement pu reprendre ma vie en main et redresser mes résultats scolaires et professionnels.
J’ai pris du temps pour prendre soin de ma santé mentale. Cette pause m’a m’a permis de trouver ma voie. J’ai commencé un apprentissage de libraire, assez tardif puisque je l’ai commencé à 25 ans. J’ai poursuivi avec une deuxième formation de bibliothécaire. J’ai mis beaucoup de temps à trouver un premier emploi. Aujourd’hui je travaille dans une bibliothèque et un service d’archives.
Mes défis dans le monde professionnel
J’ai surtout rencontré des problèmes au niveau des contacts et des codes sociaux. On me reprochait de ne pas dire bonjour quand il fallait ou de le dire quand il ne fallait pas, de ne pas avoir la bonne attitude quand je marchais dans les couloirs. Il arrive que des collègues se fâchent sans expliciter les raisons. Pour moi, c’était incompréhensible.
L’heure du diagnostic
Je suis diagnostiquée haut potentiel intellectuel. J’ai donc commencé à fréquenter des groupes HPI, ça allait un peu mieux qu’avec des gens purement neurotypiques mais ça n’allait pas complétement bien non plus. Les amis de ces groupes qui m’ont suggéré de m’interroger au sujet de l’autisme… Je pense qu’ils en ont discuté entre eux avant d’en parler avec moi car ils avaient tous l’air d’accord lorsqu’ils m’en ont parlé (rire). Ils m’ont donné des exemples concrets de situations de la vie quotidienne qui leur avaient mis la puce à l’oreille. Par exemple, je lisais beaucoup de livres pour apprendre le langage non-verbal, et ça fait partie des choses qui les ont questionnés puisque normalement on ne lit pas des livres pour apprendre ce genre de choses, ça se fait tout seul.
Je me suis donc mise à creuser le sujet, mais je n’ai pas entamé de démarche diagnostique immédiatement car je ne pensais pas que ça puisse m’apporter quelque chose sur le plan personnel mais j’étais personnellement convaincue d’être dans le spectre. C’est quand j’ai fait face à des problèmes dans 2 de mes emplois que j’ai eu envie d’avoir un vrai diagnostic pour pouvoir faire une demande d’aide à l’AI.
Le diagnostic m’a permis d’être plus libre d’en parler. Pendant toute la période où j’étais auto-diagnostiquée, j’en parlais aussi mais les gens ne me croyaient pas, ils me disaient que je n’avais jamais vérifié, que le problème était peut-être ailleurs. Des personnes qui me connaissaient depuis quinze minutes se permettaient de me dire que je n’étais pas autiste alors que cela faisait des années que je réfléchissais à mon fonctionnement. Je n’y ai peut-être pas toujours réfléchi de la bonne manière, mais je me connais mieux que des gens qui me connaissent depuis une heure, quand même (rire).
Parler ou non de mon autisme…
Je parle de mon autisme en fonction du contexte. Si je suis avec un groupe de HPI ou d’autistes, on parle de neuro-atypisme et ça vient forcément dans la conversation. J’en parle moins avec des personnes qui ne sont de ce milieu, sauf si je me sens parfaitement en confiance. J’en parle également beaucoup sur les réseaux sociaux donc j’imagine que des collègues sont au courant. Ce n’est pas quelque chose que je cache mais je ne le pose pas non plus comme ça sur la table.
Je souhaite que l’autisme ne soit plus un secret… Si on ne sort pas de l’ombre, les mentalités ne vont jamais évoluer.
Le soutien de l’Ai
Grâce à l’Ai, j’ai obtenu un coaching pour m’aider à trouver une place de travail. L’inscription prend énormément temps et j’avais trouvé une place avant de la finaliser mais ce coaching m’a été très utile pour stabiliser mes rapports sociaux dans l’emploi afin de garder ce travail. Ma coach m’a expliqué de façon concrète et détaillée tout ce qui entre en jeu dans les rapports et les codes sociaux. J’ai pu comprendre pour quelles raisons mes collègues avaient pu réagir d’une telle façon, et pourquoi certaines réactions que j’avais n’étaient pas correctes à leurs yeux. Cette personne m’a expliqué comment analyser socialement des situations de la vie quotidienne.
Lorsqu’on est une personne autiste, on a besoin de vivre une expérience en la comprenant pour apprendre de nos erreurs. Beaucoup de situations qui étaient très difficiles à gérer et à comprendre pour moi sont devenues plus faciles grâce aux explications. En quelques sortes, j’ai « rajouté des données sur mon disque interne ».
Ces aides sont absolument utiles et nécessaires, et je suis convaincue que l’argent qui est dépensé pour du coaching est regagné par après car ce sont des clés pour toute la vie. L’autisme n’est pas un trouble invalidant qui nous empêche de progresser, il est possible de progresser et d’évoluer si on nous donne les outils qui nous manquent. Une fois qu’une aide est apportée, que des outils clairs sont donnés, les progrès peuvent être très importants et ces personnes peuvent être réinsérées dans le monde du travail, ce qui constitue un vrai bénéfice pour la société.
La gestion de ma vie au quotidien…
Ma coach m’a beaucoup aidée à me discipliner de ce côté-là. Je vis seule et le fait d’apprendre à faire mes paiements 1x par semaine, de cuisiner tous les jours et de mettre de l’ordre dans mon quotidien m’a aidée à me sentir mieux moralement. Je suis facilement distraite et un simple message sur mon téléphone peut me faire oublier ce que je faisais. Je n’ai pas de problème de planification ou de structure, mais c’est parfois compliqué à maintenir pendant un grand laps de temps.
Le site Autism&Uni
J’aime beaucoup votre site. Ce que j’aimerais trouver sur une plateforme comme celle-ci, en plus de ce qu’il y a déjà, ce sont des conseils sur l’insertion dans le monde du travail. J’ai mis énormément de temps à trouver une place de travail après avoir terminé mes études. Je ne savais pas comment passer un entretien d’embauche, à quel point il fallait être honnête et citer mes défauts par exemple. C’est important aussi de savoir qu’il faut rester ouvert face à la personne, sans partir dans de trop grandes explications.
J’aurais également aimé trouver des conseils sur le comportement à adopter avec les collègues. Par exemple, le fait de dire bonjour tous les matins à tout le monde, ou retenir le prénom de tout le monde, ce n’était pas intuitif pour moi. Il y a des codes sociaux spécifiques dans le monde du travail qui dépendent du milieu dans lequel on est.
Autisme et vie professionnelle …
Les personnes autistes ont beaucoup de qualités intéressantes pour le monde professionnel : l’honnêteté, la fiabilité, la précision dans les tâches à effectuer et le respect des consignes. Ce dernier point peut être handicapant pour les personnes TSA car nous avons tendance à prendre au pied de la lettre ce qu’on nous demande, voire à en faire trop jusqu’à nous surcharger mentalement. Je comprends bien les consignes lorsqu’on me les donne mais j’ai tendance à les oublier. Je note donc tout dans un petit carnet, que ce soit mes tâches du jour ou des consignes que l’on m’a données au travail. Je mets ensuite des coches lorsque c’est fait et ça me permet d’arriver à la fin de ma journée en ayant fait ce que je devais.
Une anecdote…
J’ai des difficultés au niveau de la reconnaissance des visages. Dans mon emploi actuel, mes collègues ont tous des physiques très différents, ce qui m’aide beaucoup, mais ça n’a pas toujours été le cas. Le fait d’avoir un trombinoscope à disposition sur le lieu de travail aide énormément. Je me rappelle avoir mis 3 jours pour comprendre qu’il y avait 2 personnes différentes alors que j’étais persuadée qu’elles étaient la même femme. Cela mène forcément à des malentendus au niveau social et relationnel.
Je me souviens d’une professeure à qui j’ai demandé 4 fois en 1 semaine de me rappeler son prénom. La plupart des gens ont pour moi le même visage. Je trouve des astuces en scrutant leurs lunettes, leur voix, leurs coiffures. Afin de ne pas prendre le risque de saluer plusieurs fois une même personne dans la journée, j’ai pris l’habitude de faire un petit sourire accompagné d’un signe de la tête lorsque je les croise dans les couloirs, ça passe toujours !
Je me souviens être allée à une soirée, et la femme qui nous accueillait était très gentille mais … elle parlait beaucoup, très fort et sans discontinuer ! J’ai saturé après 20 minutes mais je me suis forcée à rester, je n’ai rien dit, jusqu’à exploser. Avec le recul, je me dis que si j’étais partie simplement en prétextant un mal de tête, tout se serait mieux terminé. Mais à l’époque, je ne pensais pas avoir le droit de m’écouter, car ces choses-là ne posaient de problèmes à personne d’autre.
Les « neurotypiques » et leurs habitudes
Ça s’est amélioré avec la pandémie mais la bise et les serrages de mains sont très désagréables pour moi. Je déteste quand on vient trop près de moi. Je n’aime pas les sous-entendus et les ambiguïtés. Le fait de ne pas dire clairement les choses est vraiment désagréable et je préfère les gens « cash » qui vont me dire lorsque je fais quelque chose de faux. Par exemple, avant, une de mes collègues disait : « Ah, tu es déjà là… ». Au lieu de me dire « Je ne suis pas encore prête. Tu peux m’attendre cinq minutes ? ». J’ai dû apprendre à analyser ce genre de situation sociale, le fonctionnement des quiproquos aussi. Ça n’était pas inné pour moi. Avant, chaque situation sociale me demandait un effort d’intellectualisation et d’analyse.
Les émotions…
Je ressens très bien les émotions des gens. Avant, je cherchais constamment la validation de mon impression lorsque je ressentais une émotion négative chez quelqu’un, je cherchais à tout prix à comprendre si j’avais fait quelque chose de mal et si oui, quoi, tout en continuant à faire des bourdes et à empirer la situation.
Maintenant je me fie à mon intuition et quand je ressens une gêne avec quelqu’un, je modifie mon comportement sans chercher le pourquoi du comment. Je gagne du temps et surtout de l’énergie. Je reste moi-même sans me poser trop de question sur les actions et les pensées de mon interlocuteur. Cela rend la discussion plus naturelle.
On entend souvent que les personnes autistes manquent d’empathie, mais je pense au contraire qu’on comprend très bien les émotions des autres. Simplement, ce n’est pas de la même manière. Notre empathie n’est pas cognitive mais émotionnelle.
Avant, lorsque quelqu’un était en colère près de moi, je ressentais automatiquement de la colère. Pendant très longtemps, je ne comprenais pas que je fonctionnais comme une éponge et que le fait d’absorber systématiquement l’émotion de l’autre sans le savoir donnait lieu à des conflits. Maintenant, je sais que si je ressens de la colère sans raison, ça ne vient probablement pas de moi et je me distancie de cette émotion.
Mes conseils …
Premièrement il faut apprendre à se connaître. J’ai fait pour ma part un grand travail grâce au coaching. J’y ai appris à reconstruire ma confiance en moi, à m’aimer. J’en avais vraiment besoin car lorsqu’on ne s’accepte pas tel que l’on est, c’est compliqué d’être accepté par les autres. Lorsqu’on a entendu toute notre vie que notre attitude n’était pas correcte, il est difficile d’avoir une bonne estime de soi. Alors une fois qu’on a regagné cette estime de soi, tout devient plus facile.
Ensuite, je dirais qu’il est très important de verbaliser quand on a besoin de quelque chose ou que quelque chose nous dérange. Les autres ne peuvent pas le deviner. Pendant très longtemps, dans la mesure où c’était évident pour moi, je pensais que ça l’était également pour les autres. Maintenant j’exprime quand j’ai besoin de quelque chose. Par exemple si la musique ou le bruit d’une fenêtre me dérange. S’extérioriser sur nos besoins peut paraître contre-intuitif pour un autiste, mais ça fonctionne, à condition que l’on apprenne à reconnaître ses besoins et ses limites.
Enfin, je dirais qu’il est essentiel de mettre la priorité sur soi et non sur ce que les autres attendent de nous. Le fait de prendre soin de soi en priorité nous permet de trouver un équilibre car en étant mieux avec soi, on sera mieux avec les autres et on n’ira pas au-delà de nos propres limites.
À propos de l'auteur
Témoignage recueilli par Nathalie Quartenoud